LA BIBLE DES PAUVRES
À
GARGILESSE
© Jean FAUCHEUX, 2020
Lors de l’étude des peintures murales de la crypte de l’église Notre-Dame de Gargilesse, nous avons découvert que certaines peintures, datées de la fin du XVe siècle, étaient imitées de la Bible des pauvres, un livre très connu à la fin du Moyen Âge et qui fut une source d’inspiration pour de nombreux artistes de l’époque.
La Bible des pauvres (Biblia pauperum) est une bible en images, nous pourrions presque dire une bande dessinée, qui raconte la vie du Christ selon le système, cher au Moyen Âge, de l’accord des deux Testaments. Ce livre raconte la vie de Jésus-Christ en 40 à 50 tableaux, suivant les versions, en développant principalement les tableaux de l’Enfance et de la Passion, au détriment de la vie publique. Chaque scène de la vie de Jésus-Christ est mise en rapport avec deux faits de l'Ancien Testament qui en sont les « préfigures ».
Page de la Résurrection du Christ, tirée d’un exemplaire de la Bible des pauvres conservé à la BNF (source : Wikipedia)
A gauche, est rappelée l’histoire de Samson qui pour se libérer de sa captivité, emporte les portes de Gaza comme Jésus a soulevé la pierre de son tombeau.
A droite Jonas, sort du ventre de la baleine, comme Jésus est sorti de son tombeau au matin de Pâques.
En haut et en bas, sous des arcatures, des rois et des prophètes
L’exemplaire de la Bible des pauvres dont s’est servi le peintre qui a travaillé à Gargilesse devait être très proche d’un exemplaire actuellement conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Celui-ci est daté de 1462-1465. Ces dates correspondant parfaitement à l’époque où furent réalisées les cinq fresques qui décoraient le mur ouest et les quatre piliers du transept de la crypte de Gargilesse.
Ce type de Bible des pauvres est constitué de 40 dessins suivant un plan presque intangible. Au centre, la scène de la vie du Christ que l’auteur souhaite présenter. De part et d’autre de ce tableau central, deux tableaux dont les scènes tirées de l’Ancien Testament, sont la préfiguration et viennent expliquer la scène principale. Ainsi, sur cette page, le tableau central, représente la Résurrection du Christ. De part et d’autre, les auteurs de la Bible des pauvres ont choisi des scènes préfigurant à leurs yeux la Résurrection : Samson emportant les portes de Gaza et Jonas, sortant du ventre d’une baleine.
Dès les débuts du christianisme, les Pères de l’église insistèrent beaucoup sur l’accord de l’Ancien et du Nouveau Testament. Saint Augustin énonce parfaitement ce principe : « Novum testamentum in vetere latet, vetus in novo patet : « Le Nouveau Testament est caché dans l'Ancien, l'Ancien est révélé dans le Nouveau ». C’est ce principe typologique qu’illustre parfaitement la Bible des pauvres.
Pour compléter ces tableaux, sur chaque page, les auteurs ont représenté en haut et en bas du tableau, quatre rois ou prophètes sous des arcatures. Près de chacun d’eux, des textes tirés de la Bible qui viennent apporter plus d’explications. Ainsi, sur cette page, en haut à gauche, nous reconnaissons David, en bas, Osée et Sophonie.
La Bible des pauvres à Gargilesse
N° 5- LA CRUCIFIXION
À l’origine, ce grand tableau peint sur le mur ouest du pignon de la crypte, pouvait être considéré comme la pièce maîtresse de l’ensemble iconographique du transept. Très endommagé par l’humidité, pour tenter de le sauver partiellement en laissant respirer le mur, le choix a été fait de découper et ôter de la paroi de larges bandes verticales en essayant de sauver l’essentiel.
Au centre du tableau, est représentée la Crucifixion. Près de la croix, mais à mi-hauteur, devaient être représentés les saintes femmes et saint Jean et nous voyons encore des pans de leurs manteaux, en particulier les pans d’un manteau rouge à droite de la croix. En bas, la procession des donateurs.
La grande particularité de cette Crucifixion, c’est de voir représenté, en haut à gauche, le Sacrifice d’Abraham. Un examen attentif permet de découvrir que l’artiste a repris la composition de la page de la Crucifixion sur la Bible des pauvres, avec la Crucifixion au centre du tableau, le Sacrifice d’Abraham à gauche et sans doute, ce dernier étant maintenant complètement effacé, le Serpent d’Airain à droite.
N° 1 - LA NATIVITÉ
À gauche du tableau représentant la Crucifixion, sur le pilier engagé, était peinte autrefois la scène de la Nativité. Cette peinture est aujourd’hui très endommagée. Nous pouvons néanmoins remarquer que l’artiste, pour composer son tableau, a copié la Bible des pauvres. Au centre, sous un petit appentis, est représentée la crèche. L’artiste a repris le cadre général de la Bible des pauvres, mais a actualisé la scène. À gauche, l’on distingue quelques moutons : tout porte à croire qu’il s’agit des moutons de la crèche. En fait, il n’en est rien ! Cette scène, imitée de la Bible des pauvres, représente Moïse devant le Buisson Ardent.
Sous un petit appentis, nous distinguons à gauche la Vierge Marie, la tête penchée vers le berceau où se trouve l’Enfant Jésus. Elle a le visage serein et semble méditer. Le berceau est très haut, placé à la manière des crèches du Moyen Âge. Jésus, allongé dans la crèche, la tête juste au-dessous du museau du bœuf. A l’origine, faisant face à Marie, devait se trouver Joseph et peut-être les bergers.
Sur la gauche, nous distinguons des moutons. Jusqu’à notre découverte, il était couramment
admis d’y voir les moutons des bergers. Or, il n’en est rien. Nous savons aujourd’hui
qu’il s’agit de la représentation de Moïse devant le Buisson Ardent d’après la Bible
des Pauvres. D’après la Bible, Moïse, assis dans l’herbe gardant le troupeau de son
beau-père aperçoit un buisson qui brûle sans se consumer où apparaît l’image de Dieu
le Père. Dans la Bible des pauvres, Dieu le père est représenté sous les traits du
Christ ressuscité. Cette scène est en fait la préfiguration de la Nativité, imitée,
on pourrait presque dire copiée, de la Bible des pauvres comme nous pouvons le voir
ci-dessous.
Le plan de la fresque de la Nativité à Gargilesse reprend presque exactement le plan de la page de la Nativité sur la Bible des Pauvres. Au centre, nous avons la Nativité. (A Gargilesse, l’artiste a respecté le cadre général mais sans en respecter les détails.)
A gauche, Moïse au milieu de son troupeau. Pour cette scène, l’artiste a respecté très scrupuleusement le plan général, mais aussi les détails. Nous voyons encore le pied de Moïse déchaussé comme le dit le texte de la Bible.
À droite, devait être représentée la scène du bâton fleuri d’Aaron, autre scène présentée comme préfigurant la Nativité. De cette peinture, il ne reste rien aujourd’hui.
En haut et en bas du tableau, les portraits de deux prophètes, tenant des phylactères en rapport avec la scène de la Nativité. A Gargilesse, les prophètes du haut sont effacés. Par contre en bas, nous distinguons encore très nettement Isaïe à gauche.
Sur le phylactère se trouvant tout en haut à droite (très haut sur la voûte, près
de l’ange jouant de la cornemuse), nous pouvons encore lire ces quelques mots en
latin : … datus est nobis. Le texte d’origine était la prophétie d’Isaïe (Isaïe 9
; 6) : « PARVULUS ENIM NATUS EST NOBIS ET FILIUS DATUS EST NOBIS » qui peut se traduire
par : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné ». Dans la banderole
au-dessus à droite, un texte en rapport avec le Bâton fleuri d’Aaron qui préfigure
la virginité de la Vierge Marie.
Ci-contre, la représentation de la NATIVITÉ sur la tapisserie flamande de l’abbaye de la Chaise-Dieu (Haute-Loire)
Nous retrouvons le même plan d’ensemble, mais, à gauche, le « bâton fleuri d’Aaron » a été remplacé par « Aaron recevant l’encensoir. »
Cliché : Jean Faucheux
N° 2 - SCÈNE NON IDENTIFIÉE
Sur le second pilier, la scène était aussi imitée de la Bible des pauvres, car non reconnaissons en haut et en bas de la fresque, les portraits des prophètes sous des arcatures. Malheureusement, cette fresque est en trop mauvais état pour permettre de l’identifier.
N° 3 - LA PRÉSENTATION AU TEMPLE
Il ne fait pas de doute que cette peinture est une imitation de la Bible des pauvres. Même composition générale du tableau, présence en haut et en bas des représentations des prophètes avec les textes dans des phylactères et des banderoles.
Ont disparu avec le temps, les deux « préfigures » tirées de l’Ancien Testament et qui devaient être peintes à droite et à gauche du tableau : « Le premier né racheté selon la Loi » et « Anne présentant à Élie son fils Samuel ».
La Présentation au temple
Deux autres scènes peintes sur les autres colonnes engagées du transept complétaient cet ensemble iconographique. Dans la tradition juive, les parents étaient tenus de présenter au temple, à l’âge d’un mois, leur enfant premier né de sexe masculin. Cette scène de la Présentation au temple, peinte sur la colonne nord du transept, représente Marie présentant l’enfant Jésus au vieillard Siméon qui le regarde, une main posée sur le berceau. Deux autres personnages étaient représentés : l’un entre l’enfant Jésus et Marie, peut-être Joseph et de l’autre, entre l’enfant Jésus et Siméon, sans doute Anne, la prophétesse.
Au-dessous du tableau, nous distinguons encore très distinctement les traits de deux prophètes. représentés dans des arcatures aveugles. À gauche, il s’agit du prophète Zacharie et à droite du prophète Sophonie. Celui-ci tient l’extrémité d’un phylactère sur lequel était écrit en latin : « REX ISRAEL DOMINUS IN MEDIO TUI » (Sophonie 3:15) ; « Le seigneur, le roi d’Israël est au milieu de vous ».
Fresques imitant la Bible des pauvres à Gargilesse
À Gargilesse, cinq tableaux sont imités de la Bible des pauvres, mais trois tableaux seulement sont identifiables.
N° 1 - LA NATIVITÉ
N° 2 - Tableau non identifiable
N° 3 - LA PRÉSENTATION AU TEMPLE
N° 4 - Tableau non identifiable
N° 5 - LA CRUCIFIXION
Les peintures de Gargilesse semblent imitées d’un exemplaire comparable à celui déposé à la BNF, mais peut-être un peu plus tardif.
Chaque planche contient trois scènes juxtaposées : celle du milieu, tirée des Évangiles ou des Actes des apôtres, et les deux autres, de part et d’autre, tirées de l’Ancien Testament. Quatre rois ou prophètes, en buste, sont représentés sous des arcatures aveugles : deux au-dessus et deux au-dessous du sujet central. Ils tiennent chacun l’extrémité d’un phylactère sur lesquels nous pouvons lire des textes prophétiques qui viennent expliquer la scène principale. Deux textes, en haut et en bas du tableau, complètent les explications.
D’après les blasons des donateurs, les peintures murales de la crypte de Gargilesse imitées de la Bible des pauvres semblent pouvoir être datées de la fin du XVe siècle (voir notre ouvrage : La crypte de l’église Notre-Dame de Gargilesse).
Le plus ancien manuscrit connu de la Bible des pauvres est celui du monastère de Saint-Florian, en Autriche ; il est de la fin du XIIIe siècle. Les manuscrits diffèrent entre eux par l’ordre des dessins et leur composition.
À l’origine, les Bibles des pauvres sont des manuscrits enluminés, peints à la main sur parchemin. À partir du XVe siècle, parurent les premières éditions xylographiques, puis, à partir de 1462, les premières impressions avec des caractères d’imprimerie. Tant que la Bible des pauvres resta sous la forme d’un manuscrit, sa diffusion fut très réduite et son influence sur l’art religieux très limitée. Elle ne devint populaire que le jour où l’impression xylographique permit d’en multiplier les exemplaires et la diffusion vers les grandes abbayes.
Les œuvres imitées de la Bible des pauvres sont aujourd’hui très rares, ce qui rend d’autant plus intéressante leur découverte à Gargilesse. Les plus connues sont les vitraux typologiques de la cathédrale de Lyon, de la cathédrale de Chartres, de la Sainte-Chapelle de Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme), les tapisseries flamandes de Reims, de Sens, et celles de l’abbaye de la Chaise-Dieu à la Chaise-Dieu (Haute-Loire).
À la Sainte-Chapelle de Vic-le-Comte, ce sont deux grandes verrières qui sont imitées de la Bible des pauvres. La verrière sud présente des scènes rappelant la Passion du Christ ; sur la verrière nord, des scènes tirées de l’Ancien Testament qui préfigurent la Passion.
La tapisserie de la Chaise-Dieu compte 21 tableaux. Quatorze tableaux sont copiés de la Bible des pauvres, l’artiste s’étant contenté de rajeunir les costumes et d’enrichir le décor. Cinq tableaux sont aussi, des copies mais avec simplification. Enfin, deux tableaux sont imités de la Bible des pauvres et d’un autre livre connu à la fin du Moyen Âge, le Speculum humanae salvationis.
Page tirée d’un exemplaire d’une Bible des Pauvres
La Présentation au temple
La crucifixion à Gargilesse
Au centre, le Christ en croix qui devait être entouré au pied de la croix de la Vierge Marie, Sainte Marie-Madeleine et saint Jean.
A droite de la croix, une femme. Elle porte sur son bustier une étoile de gueules à huit branches, blason de la famille de Châteauneuf présent à Gargilesse entre 1426-1518.
Au-dessous, un moine en prières, sans doute un Cordelier
Au bas, à gauche, une procession s’avance vers la croix. : le premier personnage est un moine, le second personnage un évêque ou un abbé, le troisième personnage est effacé. Le quatrième personnage porte un objet sur l’épaule, peut-être une épée. Certains auteurs ont cru y reconnaître saint Paul, patron d’un des donateurs.
En haut à gauche, Abraham qui brandit son épée pour sacrifier Isaac.
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La découverte de ce programme iconographique basé sur la Bible des pauvres apporte aux peintures murales de la crypte de Gargilesse un intérêt considérable. Espérons que des travaux de restauration pourront être rapidement entrepris pour la sauvegarde de ce trésor de notre patrimoine régional.
N° 4 - SCÈNE A IDENTIFIER
Sur le 4e pilier, une autre scène imitée à l’origine de la Bible des pauvres devait être peinte. Nous distinguons encore le plan général de la Bible des pauvres avec les prophètes en haut et en bas dans des médaillons. Nous pensons que ces fresques, à une époque indéterminée, ont été grattées puis repeintes.
D’après nos recherches, le personnage encore reconnaissable au-dessus du tableau (photo de droite) serait le roi David. Les personnages au-dessous pourraient être Ezéchiel et Zacharie. La fresque imitée de la Bible des pauvres et peinte sur ce pilastre serait donc le « Baptême de Jésus », scène signalée présente dans la crypte par l’abbé Imhoff, ancien curé de Gargilesse.
Site de Jean Faucheux – Contact : jb.faucheux@orange.fr - © Jean Faucheux 2020
Le baptême du Christ
Tapisserie de la Chaise-Dieu (Haute-Loire)
Cliché Jean Faucheux
La Crucifixion à la Chaise-Dieu (Cliché Jean Faucheux)
La crypte de l’église Notre-Dame de Gargilesse
Ses peintures murales - Jean Faucheux
Éditions de Paumule
Présentation au temple - Bible de Pfister,
Source : Wikipedia